« Marseille, ville sauvage », est un ouvrage rédigé par Baptiste Lanaspeze , paru en 2012 et réédité courant 2020 avec les photographies de Geoffroy Mathieu.
Ce livre offre une approche détaillée sur l’image d’un territoire au travers de sa nature spontanée, accidentelle, presque combattue, mais aussi une perspective sur la manière d’aborder le concept de « nature en ville ». Il y a dans la construction du livre une manière de faire particulière, mêlant essai classique voulant travailler la notion d’écologie urbaine et mise en avant de certains concepts comme le bio-régionalisme, un appel à reconnaître cette nature urbaine, des friches, des interstices ne relevant pas du beau ni du planifié.
Ce livre semble se construire avec en trame de fond, touchant à la volonté de déconstruire la représentation classique du rapport entre culture (la société) et la nature. Au sens sauvage et vierge, que l’homme a su établir tout au long du XIXème parallèlement à la montée de la croyance en la science et au progrès technique.
Ce point d’entrée se diversifie, notamment par le questionnement du rapport de la ville à la nature, avec Marseille comme exemple. On peut citer l’un des premiers chapitres sur la question des rats en ville. L’auteur fait le constat que cet animal est largement perçu comme un nuisible. En partie à cause de sa propension à se multiplier et à se proliférer en tous lieux, mais aussi pour le rôle qu’il a pu jouer dans les épidémies de peste. A cela, l’auteur répond que la présence de cette espèce dans nos villes n’est que le symptôme de notre propre manière d’agir dans cet espace, de générer et gérer les déchets dans nos milieux de vie. Cela réunit donc toutes les conditions pour que cette espèce puisse proliférer sans difficultés, alors même que nous déployons des moyens colossaux dans les campagnes de dératisations.
Bien plus que la simple application de la phrase « se plaindre des conséquences dont on chérit les causes », l’auteur semble vouloir montrer par-là l’écart, le rejet que nous voulons mettre face à l’animalité, le sauvage dans toutes ses formes en ville. Le sauvage dans sa part animale (avec le chapitre sur les rats, mais aussi avec le chapitre 7 et l’anecdote des dauphins dans le Vieux port) ainsi que dans sa part végétale, paysagère.
Il est également question de la domination de la société, de la technologie sur la nature, la mise à l’écart stricte non pas de la ville et de la nature, que l’on peut définir comme l’opposition ville et campagne, mais de la société. Cela amène à créer l’image d’une nature idéalisée, exemptée des affres de la civilisation et de la promiscuité urbaine, entraînant la quête d’une nature hors ville pour satisfaire des besoins récréatifs.
L’auteur tente principalement de sortir le concept de nature de son approche occidentale de « jardin d’Arcadie » comme un « paradis perdu reconstruit ou « protégé » dont nous apprécions en masse la beauté, comme arrière-plan ». Cette approche passe par la valorisation de ce que l’auteur nomme le « tiers-paysage », la nature des friches, des herbes perçant à travers le béton, des bâtiments abandonnés que les habitants se réapproprient, des cours d’eau autrefois couverts que l’on redécouvre progressivement.
Il y a là, la volonté de proposer un nouveau récit, une nouvelle manière d’appréhender notre rapport à la nature en invitant à sa découverte par la pratique du territoire. Ce faisant, il n’est pas étonnant d’apprendre que Baptiste Lanaspeze fut aussi à l’initiative du projet de GR2013 à Marseille, et dont plusieurs lieux abordés dans le livre sont aussi ceux arpentés par les randonneurs pratiquant le GR.
Dans le cadre de l’atelier, cet ouvrage se révèle à mon sens comme une manière de comprendre un territoire dans sa composition paysagère, dans ses formes et représentations à travers la marche. Ce livre n’est pas un guide de marche, mais est intimement lié à cette pratique étant donné que celle-ci est l’outil grâce auquel l’auteur a pu nous restituer le paysage de Marseille qu’il dépeint au fil des pages. Cet aspect se renforce notamment par la manière dont Baptiste Lanaspeze décrit l’objectif du GR2013 afin « d’éprouver physiquement l’ampleur, la beauté, la complexité des territoires urbanisés où nos vies prennent place ».
Il y a dans cette phrase ce qui résume, selon moi, l’essence du concept de « sentiers métropolitains », ou plutôt dans ce que doit donner à voir ces sentiers. De la même manière que les marches silencieuses réalisées par Jean-François Pirson, il m’apparaît que la démarche de ces sentiers tend à travailler l’identité des territoires par leur pratique. J’entends cela dans le sens que le livre offre des descriptions que seule une exploration sur site permet d’offrir.
On peut citer pour cela le chapitre 11 intitulé « l’impossible désert » qui s’étend sur 4 pages, le chapitre en comptant 7, avec une liste des plantes que l’auteur a rencontrée lors d’une observation autour de la gare Saint-Charles à Marseille et dont aucune n’est issue de la volonté de l’homme mais ont réussi à se faire une place entre le béton et l’asphalte, les platanes et le gazon. Cela pose donc la question d’une typologie de plantes urbaines et de la réelle perméabilité de nos villes, mais aussi qu’à l’endroit où n’aurait pu voir que les mauvaises herbes, un élément banal du paysage, se déploient des phénomènes racontant nos villes.
“Crédit : Geoffroy Mathieu, Centre-ville, gare Saint-Charles. Massif de grandes ciguës ( conium) sur un pied d’arbre, place des Marseillaises.
Condensées à la fin de l’ouvrage, les photographies de Geoffroy Mathieu illustrent parfaitement la mise en avant du tiers-paysage de Marseille énoncé dans le livre. Cette photographie en particulier représente à mon sens tout le paradoxe de la question de la typologie de la nature en ville, avec cette forme d’ironie ou la végétation informelle et spontanée prend le pas sur celle implantée, ici représentée par l’arbre ce faisant couvrir par le massif de ciguë. “. Légende photographie à insérer.
Dans le même registre, je reconnais l’intérêt de l’auteur pour ce qui d’ordinaire ne se regarde pas en ville, ne se montre pas sur les cartes. Une grande partie des exemples valorisés par Baptiste Lanaspeze proviennent des usages non-conventionnels de la ville, des jardins informels, des cabanons spontanés ou encore événements artistiques au milieu des friches ainsi que tous ces éléments dont la présence n’est pas souhaitée, voire repoussées comme les rats cités plus haut ou les plantes, qui malgré un sol perméabilisé, jaillissent de toute part comme le montre merveilleusement bien le photographe Geoffroy Mathieu avec les photographies 13 et 14.
Autant d’éléments qui d’ordinaire, notamment dans le champ de la géographie et de l’urbanisme dont je suis issu, ont tendance à être considérés au mieux comme des imperfections, ont été remplacés par du neuf bien ordonné et qui au pire ne sont même pas considérés. Il est à mon sens, et de ce que je retiens de ce récit, possible d’affirmer qu’il y a dans ces phénomènes quelque chose qui met en lumière la vie de nos territoires et d’une certaine manière une partie de ce que nous sommes.
Fiche de lecture réalisée par Petrel Lucas, Étudiant en Master 1 Design Urbain à l’Institut d’Urbanisme et de Géographie Alpine