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Secteur Chartreuse

Nous avons commencé la marche à l’arrêt de tram Hubert Dubedout — Maison du Tourisme et nous nous sommes dirigés vers la Bastille. Nous sommes passés par le Jardin de Ville, puis nous avons longé la rivière sur un trottoir étroit, frustrés par le fait que l’un des espaces les plus précieux de la ville, le remblai, est dédié aux voitures.

Nous sommes arrivés à la Passerelle Saint-Laurent qui était pour nous comme le salut, car elle nous a emmené de l’autre côté, où, en tant que piétons, nous étions à nouveau pris en compte. Ensuite, nous ne sommes montés qu’à mi-chemin à la Bastille pour avoir un peu de vue sur la ville d’en haut, et nous sommes redescendus pour avoir suffisamment de temps pour la promenade en ville qui était notre objectif principal ce jour-là. De retour en bas, en ville, c’était à ce moment-là que nous avons perdu notre premier objectif visible : la Bastille. Nous nous sommes donc laissés guider pour la première fois par la ville. Odeur de crêpes, il faut la suivre ! Cela est devenu le thème de notre marche.

Le long du reste de la promenade, nous avons suivi notre intuition, le changement de couleur, les textures intéressantes sur les façades ou le son de la musique. À plusieurs reprises, nous avons dû faire demi-tour pour choisir un autre chemin; et à d’autres moments nous ne voulions rien de plus que de nous échapper de notre emplacement actuel : par exemple au Boulevard Maréchal Foch.

Dans ces cas-là, nous avons alors choisi la sortie la plus rapide. Cependant, la plupart du temps, ces stimuli sensoriels nous ont conduits vers des espaces que nous avions envie d’explorer. J’ai été surprise par tout ce que la ville peut offrir lorsqu’on ne la traverse pas simplement avec l’intention d’aller quelque part, mais lorsque l’on se concentre sur les différentes atmosphères qu’elle crée. Nous avons ressenti de nombreuses émotions tout au long de la marche : de l’excitation et de la curiosité à la frustration ; ou de la tension, jusqu’au soulagement, et le sentiment de confort chaleureux.

Ce qui était intéressant pour moi, c’était aussi à quel point certains espaces que je connaissais déjà me semblaient différents et nouveaux lorsque j’y marchais d’une autre direction que d’habitude. En commençant cette marche, j’étais un peu sceptique quant à trouver une expérience intéressante en traversant le centre-ville déjà exploré, mais je suis certaine maintenant qu’il y a encore de nombreuses histoires à découvrir.

L’art de la ville, Chapitre 7

 

L’invention du quotidien est un ouvrage écrit par Michel de Certeau et publié en 1980. L’auteur nous propose sa perspective particulière sur les pratiques culturelles des villes. Son but premier était de répondre à une problématique proposée par la Délégation générale à la recherche scientifique et technique de l’époque au côté de Luce Giard, de Pierre Mayol, et de jeunes chercheurs.

Michel de Certeau va donc mettre en avant les pratiques ordinaires et quotidiennes mais également celles qui sont peu visibles, mais qui participent à la construction d’une culture populaire. Pour ce faire, nous allons nous focaliser sur le chapitre VII du tome 1, à savoir “les marches dans la ville”.

L’auteur décrit la ville de New York à travers deux points de vue différents : la ville du haut du World Trade Center, et la ville du bas à l’intérieur des rues de New York. De Certeau nous décrit qu’être au sommet du World Trade Center, c’est dominer la ville, c’est être “enlevé à l’emprise de la ville”. On considère l’immensité de la ville américaine comme le “ plus démesuré des textes humains “.

Toutefois, lorsque l’on redescend de la tour, on comprend qu’il faut retomber dans le sombre espace où circulent les foules, qui étaient visibles d’en haut. Mais l’auteur explique ensuite que c’est bien en bas que vivent les pratiquants ordinaires de la ville. L’auteur propose de “repérer des pratiques étrangères à l’espace géographique ou géométrique” qui forme un espace différent de la ville, «organisation rationnelle». Organisation qui est hésitante entre la projection vers le futur et les politiques de “réhabilitation de patrimoines ”.

La ville va donc être définie par une triple opération :

  • la production de l’espace propre
  • la substitution d’un non-temps
  • Un sujet universel

Ces 3 points ont laissé l’auteur se pencher sur un sujet intéressant, à savoir la pratique de la ville en parallèle de la langue. Michel de Certeau nous explique que le locuteur s’approprie une langue pour pouvoir produire une pensée qui se transformera en parole spécifique, et qui sera différente des règles linguistiques établies initialement.

Le marcheur urbain doit créer un ordre spatial qui va “organiser un ensemble de possibilité et d’interdiction” comme la route, les passages piétons etc…

Mais malgré ces contraintes, le marcheur réactualise en permanence son ordre en essayant de trouver de nouveaux chemins. Pour ma part, la lecture de l’œuvre de Michel de Certeau était intéressante d’un point de vue urbain, car il utilise un point de vue social pour répondre à sa problématique.

Durant son ouvrage, l’auteur décrit son étude comme étant anti disciplinaire, à savoir qu’il s’est approprié plusieurs fragments culturels qui ont donné naissance à son côté marginal. L’auteur utilise également des idées très imagées, ce qui permet une plus grande compréhension de son ouvrage, et donc de ses idées.

Michel de Certeau n’hésite pas à citer et reprendre des idées d’autres auteurs pour décomposer et expliquer au mieux son idée en la comparant avec l’auteur concerné. 

Il va généralement utiliser une idée originale et la décomposer pour l’ajouter à son œuvre, et donc assimiler l’idée. C’est ce qu’il a fait avec le sémiologue Roland Barthes, plusieurs fois cité dans l’ouvrage. Son idée de linguistique des signes est reprise par De Certeau, qui explique la manière que l’on a individuellement d’utiliser les signes, dans notre façon singulière de parler par exemple.

Cet ouvrage constitue un marqueur important dans l’évolution des recherches en sciences sociales, notamment, sur les pratiques culturelles depuis les années 1980 

Néanmoins, plusieurs idées de l’auteur peuvent être remises en question… L’auteur dans son œuvre a tendance à surestimer la capacité des individus à résister à l’ordre institutionnel dominant par leurs tactiques du quotidien, qui serait une manière de minimiser, voire même d’oublier le poids déterminant qu’exerce ce cadre culturel. Pour aller plus loin, dans l’invention du quotidien tome 2, Roger Chartier met en garde Michel de Certeau sur la “désociologisation de la réception”, à savoir une évacuation trop rapide des questions sociologiques dans la compréhension des pratiques culturelles.

 

Fiche de lecture réalisée par Dammak Iheb, Étudiant en Master 1 Design Urbain à l’Institut d’Urbanisme et de Géographie Alpine

Marseille, ville sauvage

« Marseille, ville sauvage », est un ouvrage rédigé par Baptiste Lanaspeze , paru en 2012 et réédité courant 2020 avec les photographies de Geoffroy Mathieu.

Ce livre offre une approche détaillée sur l’image d’un territoire au travers de sa nature spontanée, accidentelle, presque combattue, mais aussi une perspective sur la manière d’aborder le concept de « nature en ville ». Il y a dans la construction du livre une manière de faire particulière, mêlant essai classique voulant travailler la notion d’écologie urbaine et mise en avant de certains concepts comme le bio-régionalisme, un appel à reconnaître cette nature urbaine, des friches, des interstices ne relevant pas du beau ni du planifié.

Ce livre semble se construire avec en trame de fond, touchant à la volonté de déconstruire la représentation classique du rapport entre culture (la société) et la nature. Au sens sauvage et vierge, que l’homme a su établir tout au long du XIXème parallèlement à la montée de la croyance en la science et au progrès technique.

Ce point d’entrée se diversifie, notamment par le questionnement du rapport de la ville à la nature, avec Marseille comme exemple. On peut citer l’un des premiers chapitres sur la question des rats en ville. L’auteur fait le constat que cet animal est largement perçu comme un nuisible. En partie à cause de sa propension à se multiplier et à se proliférer en tous lieux, mais aussi pour le rôle qu’il a pu jouer dans les épidémies de peste.  A cela, l’auteur répond que la présence de cette espèce dans nos villes n’est que le symptôme de notre propre manière d’agir dans cet espace, de générer et gérer les déchets dans nos milieux de vie. Cela réunit donc toutes les conditions pour que cette espèce puisse proliférer sans difficultés, alors même que nous déployons des moyens colossaux dans les campagnes de dératisations.

Bien plus que la simple application de la phrase « se plaindre des conséquences dont on chérit les causes », l’auteur semble vouloir montrer par-là l’écart, le rejet que nous voulons mettre face à l’animalité, le sauvage dans toutes ses formes en ville. Le sauvage dans sa part animale (avec le chapitre sur les rats, mais aussi avec le chapitre 7 et l’anecdote des dauphins dans le Vieux port) ainsi que dans sa part végétale, paysagère.

Il est également question de la domination de la société, de la technologie sur la nature, la mise à l’écart stricte non pas de la ville et de la nature, que l’on peut définir comme l’opposition ville et campagne, mais de la société. Cela amène à créer l’image d’une nature idéalisée, exemptée des affres de la civilisation et de la promiscuité urbaine, entraînant la quête d’une nature hors ville pour satisfaire des besoins récréatifs.

L’auteur tente principalement de sortir le concept de nature de son approche occidentale de « jardin d’Arcadie » comme un « paradis perdu reconstruit ou « protégé » dont nous apprécions en masse la beauté, comme arrière-plan ». Cette approche passe par la valorisation de ce que l’auteur nomme le « tiers-paysage », la nature des friches, des herbes perçant à travers le béton, des bâtiments abandonnés que les habitants se réapproprient, des cours d’eau autrefois couverts que l’on redécouvre progressivement.

Il y a là, la volonté de proposer un nouveau récit, une nouvelle manière d’appréhender notre rapport à la nature en invitant à sa découverte par la pratique du territoire. Ce faisant, il n’est pas étonnant d’apprendre que Baptiste Lanaspeze fut aussi à l’initiative du projet de GR2013 à Marseille, et dont plusieurs lieux abordés dans le livre sont aussi ceux arpentés par les randonneurs pratiquant le GR.

Dans le cadre de l’atelier, cet ouvrage se révèle à mon sens comme une manière de comprendre un territoire dans sa composition paysagère, dans ses formes et représentations à travers la marche. Ce livre n’est pas un guide de marche, mais est intimement lié à cette pratique étant donné que celle-ci est l’outil grâce auquel l’auteur a pu nous restituer le paysage de Marseille qu’il dépeint au fil des pages. Cet aspect se renforce notamment par la manière dont Baptiste Lanaspeze décrit l’objectif du GR2013 afin « d’éprouver physiquement l’ampleur, la beauté, la complexité des territoires urbanisés où nos vies prennent place ».

Il y a dans cette phrase ce qui résume, selon moi, l’essence du concept de « sentiers métropolitains », ou plutôt dans ce que doit donner à voir ces sentiers. De la même manière que les marches silencieuses réalisées par Jean-François Pirson, il m’apparaît que la démarche de ces sentiers tend à travailler l’identité des territoires par leur pratique. J’entends cela dans le sens que le livre offre des descriptions que seule une exploration sur site permet d’offrir.

On peut citer pour cela le chapitre 11 intitulé « l’impossible désert » qui s’étend sur 4 pages, le chapitre en comptant 7, avec une liste des plantes que l’auteur a rencontrée lors d’une observation autour de la gare Saint-Charles à Marseille et dont aucune n’est issue de la volonté de l’homme mais ont réussi à se faire une place entre le béton et l’asphalte, les platanes et le gazon. Cela pose donc la question d’une typologie de plantes urbaines et de la réelle perméabilité de nos villes, mais aussi qu’à l’endroit où n’aurait pu voir que les mauvaises herbes, un élément banal du paysage, se déploient des phénomènes racontant nos villes.

“Crédit : Geoffroy Mathieu, Centre-ville, gare Saint-Charles. Massif de grandes ciguës ( conium) sur un pied d’arbre, place des Marseillaises.

Condensées à la fin de l’ouvrage, les photographies de Geoffroy Mathieu illustrent parfaitement la mise en avant du tiers-paysage de Marseille énoncé dans le livre. Cette photographie en particulier représente à mon sens tout le paradoxe de la question de la typologie de la nature en ville, avec cette forme d’ironie ou la végétation informelle et spontanée prend le pas sur celle implantée, ici représentée par l’arbre ce faisant couvrir par le massif de ciguë. “. Légende photographie à insérer.

Dans le même registre, je reconnais l’intérêt de l’auteur pour ce qui d’ordinaire ne se regarde pas en ville, ne se montre pas sur les cartes. Une grande partie des exemples valorisés par Baptiste Lanaspeze proviennent des usages non-conventionnels de la ville, des jardins informels, des cabanons spontanés ou encore événements artistiques au milieu des friches ainsi que tous ces éléments dont la présence n’est pas souhaitée, voire repoussées comme les rats cités plus haut ou les plantes, qui malgré un sol perméabilisé, jaillissent de toute part comme le montre merveilleusement bien le photographe Geoffroy Mathieu avec les photographies 13 et 14.

Autant d’éléments qui d’ordinaire, notamment dans le champ de la géographie et de l’urbanisme dont je suis issu, ont tendance à être considérés au mieux comme des imperfections, ont été remplacés par du neuf bien ordonné et qui au pire ne sont même pas considérés. Il est à mon sens, et de ce que je retiens de ce récit, possible d’affirmer qu’il y a dans ces phénomènes quelque chose qui met en lumière la vie de nos territoires et d’une certaine manière une partie de ce que nous sommes.

 

Fiche de lecture réalisée par Petrel Lucas, Étudiant en Master 1 Design Urbain à l’Institut d’Urbanisme et de Géographie Alpine

Marcher en ville: Faire corps, prendre corps, donner corps aux ambiances urbaines

    Cet ouvrage, nourri par plusieurs auteurs et donc différents points de vues, sacralise la marche en lien avec le corps et la ville. 

En effet, Marcher en ville définit la marche et la contextualise en ville. Les auteurs nous expliquent qu’il y a différentes formes de marches, que l’on appréhende pas de la même manière si nous sommes seul, à deux ou à plusieurs. Le lieu, la météo, la saison, la connaissance à l’environnement ou non auront forcément une influence sur notre marche. Ces limites peuvent se traduire par le rythme, les décisions prises tout au long de notre parcours ou encore sur nos ressentis. 

Mais la marche est un moyen d’augmenter la santé physique et mentale des marcheurs et marcheuses. Elle permet de se dépenser, d’appréhender et de différencier l’espace vécu et l’espace perçu. Ces espaces se traduisent par des sons, des odeurs, des couleurs, des matériaux. Ils développent sans cesse nos sens. Néanmoins, la création d’une identité particulière s’opère avec les déplacements réalisés au quotidien. De plus, notre façon de s’habiller ou de marcher nous rend anonyme, ou non, dans un espace urbain.

Historiquement, la marche a subi plusieurs évolutions au cours des siècles. C’est un des principaux moyens de se déplacer dans différents espaces. Quelque peu oubliée durant la révolution industrielle, elle n’a jamais pu être remplacée ou oubliée. 

Elle inspirera les artistes suivant leurs courants artistiques. La marche est présente dans les livres, les poèmes ou encore les peintures. Ces artistes font ressortir le lien fort entre ambiance et marche. Ils représentent et décrivent la place du corps dans l’espace urbain et observent l’appropriation des individus dans la rue. Ces lieux de rencontre, de vie, de spectacle, de débat ou encore de rébellion. Eugène Delacroix, énoncé dans l’ouvrage, illustre en tout point ce phénomène urbain dans « La liberté guidant le peuple ». 

La manière d’appréhender la marche m’a beaucoup plu dans cet ouvrage. Les expériences menées lors des recherches des auteurs illustrent très bien leurs propos. 

J’ai pu enrichir mes connaissances sur la marche mais également sur notre place dans l’espace urbain. Cela a également fait écho à ma perception de la rue et ma perception de la marche. Il nous invite à nous mettre à la place du marcheur mais également de l’observateur.  En tant qu’observateur de la marche, nous pouvons nous imaginer la vie de ces personnes anonymes que l’on croise dans la rue. Nous pouvons également deviner le type de marche qu’ils utilisent et donc leur but. 

La rue garde des traces de nos vies tout en subissant les évolutions qu’on lui impose. Nous pouvons l’observer mais également le ressentir lors de la marche.  Malgré le fait que certaines expériences soient anciennes, les conclusions sont toujours d’actualités et vérifiables dans la ville d’aujourd’hui.

J’émettrai tout de même une limite qui me semble importante et qui n’a pas été relevée dans cet ouvrage. En tant que marcheuse, nous appréhendons différemment l’espace urbain comparé aux hommes. En effet, l’ambiance de notre marche dépendra de tous les outils énoncés précédemment. Par exemple, si il fait nuit et que nous sommes seule, nous emprunterons sûrement des rues éclairées, avec de l’animation et nous serions plus à l’écoute des bruits ou plus observatrices. 

 

Fiche de lecture réalisée par Seitier Lora, Étudiante en Master 1 Design Urbain à l’Institut d’Urbanisme et de Géographie alpine

Le quotidien en projets : Parcours, coupes, travellings et autres transects.

Nicolas Tixier est architecte de formation, il écrit la thèse « le quotidien en projets : Parcours, coupes, travellings et autres transects. » en 2017.

Cette thèse retrace ses expériences et ses recherches effectuées au sein de différents organismes sur la notion d’ambiance urbaine.
Il commence d’abord à définir la notion d’ambiance et ses évolutions. Cette notion fait appel à nos sens et à notre sensibilité vis-à-vis d’un espace. Un espace où l’on va se sentir « à l’aise » ou « mal à l’aise ».
Ces ressentis sont propres à chaque usager ou individu de l’espace étudié ; c’est pour cela que la notion d’ambiance est en mouvement. Pour comprendre les ambiances d’un lieu, il faut faire appel à plusieurs disciplines pour que la notion ait du sens. Cette notion est pluridisciplinaire pour appréhender « les dimensions construites, sensibles et sociales de l’espace habité ».

Nicolas Tixier va utiliser cette notion d’ambiance pour créer des projets urbains en phase avec leurs environnements. Pour ce faire, il va utiliser différents outils au fil de sa carrière.

En amont d’un projet, il a l’habitude d’utiliser la méthode de parcours commenté. Un parcours commenté est un entretien qui se déroule sur le site en question. Cette méthode consiste simultanément à : « marcher, percevoir et décrire ». Ces entretiens en mouvement sont ensuite restitués après les marches collectives dans une salle où les acteurs reviennent sur les impressions.
Cette méthode permet donc de récolter les représentations en direct des différents acteurs concernés par le projet, aidant par la suite les concepteurs à créer des ambiances en accord avec leurs perceptions.

Nicolas Tixier utilise également la notion de transect pour définir collectivement les ambiances d’un lieu projeté. Le transect est un mélange entre une coupe technique et l’ajout de perception au fil de la ligne définie. Ces perceptions peuvent être traduites par différentes formes : le texte, la vidéo, le dessin ou autres. Toutes ces représentations sont recueillies lors de marches effectuées sur site. Le transect est un outil de participation, c’est un outil pour travailler ensemble sur les ambiances qui constituent le trait de coupe. Cette thèse m’a permis de prendre connaissance d’autres outils pour définir les bases d’un projet ou d’un projet dans sa globalité. En effet, le transect urbain m’a inspiré pour représenter notre sentier métropolitain. La représentation de ce sentier doit transmettre les ambiances urbaines présentes tout le long du tracé, l’élaboration d’un transect peut être une idée pour les définir. 

 

Fiche de lecture réalisée par Cravoisier Charlotte, Étudiante en Master 1 Design Urbain à l’Institut d’Urbanisme et de Géographie Alpine

Les villes invisibles

Italo Calvino

“Les villes invisibles” de son titre d’origine “Le città invisibili“ est un roman d’Italo Calvino publié pour la première fois en 1972 et nouvellement réédité et traduit de l’italien au français par Martin Rueff en 2020. Au sein de cet ouvrage, I. Calvino imagine les discussions qu’aurait pu avoir l’empereur des Tartares Kublai Khan avec le marchand vénitien Marco Polo. Ce dernier est mandaté par l’empereur de peindre le portrait de son empire qu’il ne connaît que peu.

Ne parlant pas le même langage, le marchand décrit les villes succinctement à l’empereur en mobilisant des objets, des sons ou encore des signes. Kublai Khan se doit donc d’interpréter les informations de Marco Polo l’amenant à penser à la page 34 que “l’empire ne soit qu’un zodiaque des fantasmes de l’esprit”. Selon sa propre perspective, chaque individu voit le monde qui l’entoure remplit des fantasmes de son esprit le rendant différent pour tout un chacun.

Ce livre met en lumière les préoccupations de l’Homme dans sa vie, ses désirs. D’abord par le personnage de Marco Polo, car ce que nous voyons est avant tout ce qu’il voit avec son propre arbitre. Ensuite, plusieurs villes soutiennent ces propos tels que Despina, à la page 26, vue par un chamelier comme “un navire […] qui l’emmènerait loin du désert” mais par un matelot comme “un chameau au bât duquel pendent des outres et des besaces de fruits confits, dattes, […] qui l’emporte loin du désert”. L’aspect de cette ville varie selon qui la regarde et l’on peut supposer qu’une infinité de Despina existe. Cette ville représente l’utopie des désirs de chacun.

Marco Polo voit ces utopies. Il rencontre d’ailleurs tantôt des utopies, tantôt des dystopies. La ville de Zemrude (p.84) en est d’ailleurs un bon exemple, car “c’est l’humeur de celui qui la regarde qui donne à la ville de Zemrude sa forme ”avec” le nez en l’air, […] balcons, rideaux qui volètent, jets d’eau”. Au contraire, l’observateur est “menton contre poitrine”, il ne voit que “caniveaux, bouches d’égout”.

Le marchand voit et comprend ces utopies, car il porte un regard scientifique sur les villes. Il en fait un puzzle afin de comprendre jusqu’à la plus petite pièce et les interactions qu’elle a. A l’opposé, Kublai Khan ne cherche pas à comprendre la ville, mais souhaite une citadelle pour gouverner efficacement ;  quelque chose de duplicable à l’infini.

    Cette dualité fait écho au rapport de l’urbain et de la société à la parution de ce livre en 1972. Le développement des villes nouvelles, modernes, à l’image de Brasilia en 1960 se revendiquent d’utopies urbaines. Cependant, lorsqu’elles accueillent la vie, elles se révèlent pour la plupart anachroniques.

Cet ouvrage reste d’actualité, car il permet de se questionner sur le devenir de la ville de demain et comment l’on construit aujourd’hui. Cela présente d’autant plus un intérêt aujourd’hui car les villes sont détaillées à l’échelle humaine dans cet ouvrage. En effet, cette œuvre est structurée de la sorte où Marco Polo raconte chaque voyage qu’il fait au sein de l’empire et plus précisément le chemin qu’il prend dans chacune des villes.

Son approche descriptive première permet de déceler les détails qui composent les villes avant même de tenter de les analyser. Les onze catégories des villes rapportent onze configurations de description, par le désir, la mémoire, les signes, les échanges, etc. Ceux-ci font même appel aux sens primaires de l’être humain, le toucher, l’odorat, la vue, l’ouïe et le goût. Ces sens sont mis à contribution sur le trajet afin de définir et de comprendre l’architecture de la ville et de la société qui l’habite.

Vient ensuite l’analyse de l’auteur au travers de ces descriptions. Italo Calvino déconstruit les mégalopoles qui brisent les sociétés et renferment les humains sur leurs propres personnes.

Ce livre s’apparente à une ode à la marche et nous montre que c’est en traversant d’abord une ville que l’on en comprend son fonctionnement, ses interactions, les différentes échelles en jeu ou encore les personnes qui la vivent.

Sur cette base, l’auteur nous montre qu’il n’y a pas une seule ville, mais une infinité et donc une infinité de manières de les parcourir ; “Pour aller d’un endroit à un autre, tu as toujours le choix entre le parcours terrestre et le parcours en barque : et comme la ligne la plus courte entre deux points à Smeraldina n’est pas une droite, mais un zigzag qui se ramifie en variantes tortueuses, les voies qui s’ouvrent à chaque passant ne sont pas seulement au nombre de deux, mais il y en a beaucoup, et elles augmentent encore si on alterne des trajets en barque et des parcours à pied sec.” (p.114)

    Appliqué à notre atelier, ce livre peut donc être considéré en tant que guide méthodologique afin de développer une expérience sensible du sujet que l’on observe. Il nous indique aussi que la recherche de l’idéal peut être vain, mais que la réalité comporte une part d’utopie créatrice.

 

 

Fiche de lecture réalisée par Mathieu Louis, Étudiant en Master 1 Design Urbain à l’Institut d’Urbanisme et de Géographie Alpine